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Le 11e rapport européen d’évaluation incite la Turquie à la recherche du consensus

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La Commission européenne a rendu, le 5 novembre 2008, son 11e rapport d’évaluation de la candidature turque. Plus qu’à une analyse des réformes réalisées (à vrai dire peu nombreuses), c’est essentiellement à une évaluation de la situation politique et de ses principaux acteurs que se livre d’abord ce rapport en essayant de pointer les causes de l’immobilisme qui a caractérisé la Turquie au cours de l’année écoulée.

Les acteurs les plus durement épinglés par le rapport sont les

«responsables officiels qui s’en sont pris à la presse, suite aux reportages réalisés par celle-ci sur des cas de corruption et à propos de la lutte contre le terrorisme.»

Ces acteurs ne sont pas nommément désignés, mais l’allusion à des affaires qui ont récemment défrayé la chronique est évidente (affaire «Deniz Feneri» qui avait provoqué l’ire du premier ministre contre le groupe «Doğan» et affaire des photos aériennes tendant à prouver que le haut commandement militaire aurait été au courant de l’imminence de l’attaque du PKK contre le poste militaire d’Aktütün, le 4 octobre 2008).

Le rapport s’en prend plus explicitement et pour la première fois au pouvoir judiciaire en lui reprochant ses prises de position politiques ou son manque de rigueur dans des procédures encore en cours. Il pense qu’une telle attitude contribue à mettre en doute l’impartialité des juridictions concernées et estime que la réforme du fonctionnement du pouvoir judiciaire continue d’être une priorité pour la Turquie. Le rapport évoque, à cet égard, les procédures de dissolution engagées devant la Cour constitutionnelle, contre l’AKP et le DTP. Il rappelle également que cette Cour n’a pas hésité à examiner le contenu de la réforme tendant à lever le voile à l’Université, alors même que la Constitution ne lui reconnaît pas la compétence d’examiner un texte sur le fond. Il souligne, par ailleurs, un certain nombre de dysfonctionnements survenus dans le cours de l’affaire «Ergenekon» (précarité des droits de la défense, prolongation des détentions provisoires).

Une autre institution très critiquée est l’armée dont l’UE dénonce les prises de position sur la laïcité, Chypre, la question kurde et les partis politiques. Plus généralement, ce que constate le rapport c’est la persistance de déclarations faites par des hauts responsables militaires sur des sujets politiques qui ne les concernent pas, avant de conclure qu’aucun progrès n’a été véritablement réalisé dans le domaine de la démilitarisation du politique et que l’armée échappe toujours en fait au contrôle gouvernemental et parlementaire.

La dernière instance directement mise en cause par le rapport est le CHP, principal parti d’opposition, auquel l’UE rappelle notamment les 16 recours qu’il a formulés devant la Cour constitutionnelle contre des lois concernant pourtant des réformes réalisées dans le cadre du processus d’adhésion (notamment la loi sur les Fondations et celle sur les municipalités ou les amendements à la loi sur le service public de la radio-diffusion).

Cette volée de bois vert épargne néanmoins le chef de l’Etat, Abdullah Gül, félicité avec insistance pour son rôle de conciliateur entre la société civile et les principaux acteurs politiques. Le rapport relève aussi la bonne atmosphère de travail qu’il a établie avec le gouvernement et les initiatives qu’il a prises pour relancer les réformes nécessaires à la progression de la candidature turque. Il salue enfin l’intense activité diplomatique du Président et bien sûr son déplacement historique en Arménie, à Erevan, en septembre 2008 . Ce satisfecit décerné à la Présidence contraste avec l’évaluation du gouvernement auquel le rapport reproche surtout de n’avoir pas lancé de véritable programme de réformes en dépit d’un mandat politique fort et des appels répétés du Président.

Sans doute, la perspective des prochaines élections municipales explique que la Commission européenne s’attarde en particulier sur les réformes du système territorial turc, en rappelant les mesures prises par le gouvernement pour restructurer les instances locales et leur donner plus d’autonomie financière et décisionnelle (loi de mars et de juin 2008 notamment). Tout en observant que l’entrée en vigueur de ces réformes est gênée par une stratégie d’obstruction du CHP, qui a déféré notamment la loi de mars 2008 sur les municipalités devant la Cour constitutionnelle, le rapport européen conclut que les apports concrets de cette décentralisation restent pour l’instant limités et demandent à être accrus dans les plus brefs délais. Rappelant par ailleurs l’affaire « Deniz Feneri » jugée récemment par la Cour de Francfort et les ramifications turques qui ont été à cette occasion mise à jour (cf. notre édition du 19 septembre 2008), le rapport de la Commission européenne note «qu’il y a eu des progrès limités en matière de lutte contre la corruption.» Plus généralement, sur tous ces sujets chauds, on peut dire que la Commission regrette l’immobilisme d’un gouvernement qui, pourtant, après son succès aux élections législatives de 2007, se trouvait en position de force pour impulser le changement. Seul responsable gouvernemental à échapper à la critique ambiante, le ministre de la Justice voit salués les efforts qu’il a faits pour tenter, en vain d’ailleurs, d’améliorer le fonctionnement, le professionnalisme et l’indépendance de la justice. Le rapport souligne en outre que ce ministre a présenté des excuses publiques, suite à la mort d’un prévenu du fait des tortures et des mauvais traitements que lui avaient infligés la police et l’administration pénitentiaire (cf. notre édition du 16 octobre 2008).

Pointant en outre, des incohérences qu’elle attribue plutôt au parti au pouvoir, la Commission européenne rappelle que ce dernier a confié à une commission d’experts l’élaboration d’une nouvelle Constitution (dite « constitution civile ») qui n’a pas été soumise au Parlement ou à la société civile, et qui surtout n’a jamais fait l’objet d’un échéancier sérieux (cf. notre édition du 5 octobre 2007). En outre, elle remarque que paradoxalement l’annonce de ce projet n’a pas empêché l’AKP de poursuivre la modification de la Constitution en vigueur en tentant, en février 2008, d’amender les articles 10 et 42 de celle-ci, pour lever l’interdiction du voile dans les universités (cf. nos éditions des 3, 5 et 7 février 2008). Le rapport européen insiste également sur les effets négatifs découlant d’une absence de consensus entre les principales forces politiques du pays et regrette que le travail du parlement nouvellement élu ait été perturbé par les procédures de dissolution dont deux partis (l’AKP et le DTP), qui y sont représentés, ont fait l’objet.

En ce qui concerne les droits de l’homme et l’approfondissement de l’État de droit, le rapport de la Commission européenne observe de façon générale que la Turquie a été condamnée à 266 reprises par la Cour européenne des droits de l’homme et que la saisine de cette juridiction pour des affaires turques a continué à croître (3705 recours). Les décisions de la Cour de Strasbourg ne sont de surcroît pas toujours appliquées. Le rapport rappelle aussi qu’il n’y a toujours pas d’Ombudsman (médiateur ou défenseur des droits) en Turquie. Il est vrai que la création de cette institution a été bloquée, en 2006, par le recours que le président Sezer a déposé contre certaines dispositions de la loi qui entendait l’instaurer. Mais le rapport note qu’une telle instance, par les différentes fonctions qui sont les siennes (enquête, médiation, évaluation), est « d’une importance capitale pour prévenir les tensions dans la société. » On observe, une fois de plus ici, le souci qu’a la Commission d’inciter les acteurs officiels et ceux de la société civile à faire prévaloir le compromis et la négociation dans leurs relations.

Le rapport dénonce, par ailleurs, une série d’atteintes à la liberté d’expression, en particulier les obstacles au libre fonctionnement d’Internet. L’interdiction frappant la plate-forme d’échanges de vidéos de Google, «You Tube», est expressément mentionnée. Le rapport analyse aussi longuement la réforme de l’article 301 du Code pénal (cf. notre du 4 juillet 2008) et la juge insuffisante. D’autres articles du Code pénal sont aussi pointés du doigt (en particulier les articles 215, 216 et 217 qui sanctionnent les atteintes à l’ordre public, l’article 288 qui est utilisé pour empêcher la presse d’évoquer des procès en cours ou l’art. 318 qui permet de réprimer l’objection de conscience).

Le rapport évoque longuement la question de la liberté de religion. Rappelant le déroulement difficile du procès des assassins des trois protestants de Malatya (cf. notre édition du 23 avril 2007), il aborde également de façon détaillée la situation des Alévis en Turquie. Se réjouissant que, pour la première fois, une municipalité ait considéré qu’une «Cem Evi» était un lieu de prière et que le Conseil d’Etat ait reconnu à des enfants de famille alévies le droit de ne pas assister aux cours de religion, il note cependant que la situation générale est loin d’être satisfaisante, notamment en ce qui concerne le statut des lieux de cultes et la question des cours obligatoires de religions prévus par l’art. 24 de la Constitution. Le rapport observe, enfin, une amélioration globale des taux de scolarisation mais, comme les années précédentes, il relève la persistance de nombreuses atteintes aux droits des femmes et des enfants.

Les lacunes dénoncées par le rapport mettent ainsi l’UE en position de force pour demander à la Turquie de normaliser ses relations avec Chypre. Il n’évoque en effet que très laconiquement les négociations engagées entre les communautés grecques et turques après l’élection de Dimitris Christofias, et souligne surtout «l’absence de progrès» réalisés par la Turquie, depuis que l’UE a gelé 8 chapitres de négociations, en décembre 2006. Par ailleurs, si la Commission salue les bonnes relations établies avec la Grèce, notamment la visite officielle effectuée en Turquie par le premier ministre grec (cf. notre édition du 28 janvier 2008) et la coopération militaire lancée depuis mai 2008, il incite Ankara à s’orienter plus vite vers un règlement de fond des conflits qui perdurent avec son voisin méditerranéen, en particulier celui qui concerne les eaux territoriales.

En conclusion, on peut dire que ce rapport européen d’évaluation, en l’absence de réformes importantes en 2008, entend maintenir la Turquie dans la dynamique qui est celle d’un pays candidat. À cet égard, la candidature turque est largement valorisée par les passages du rapport qui évoquent les atouts stratégiques de la Turquie, les nouvelles orientations de la politique étrangère turque et le rôle positif modérateur joué par Ankara dans la stabilisation des conflit régionaux adjacents (Caucase, Proche-Orient, Balkans). En fait, plus qu’à dresser une liste des points négatifs et des insuffisances, le rapport de la Commission cherche d’abord à faire œuvre pédagogique pour montrer que tous les acteurs, qu’ils soient officiels ou issus de la société civile, ont une responsabilité dans le processus qui mène à l’intégration européenne. De là, cette volonté systématique de saluer les personnalités, les institutions ou même les expériences qui concourent à l’établissement d’une plus grande harmonie dans la société turque, un objectif qui est pour l’UE un impératif majeur. Il ne s’agit pas tant de distribuer des bons points que de faire comprendre que la Turquie, si elle veut intégrer l’UE doit construire le consensus politique qui lui permettra de résoudre les conflits internes qui continuent à diviser profondément sa société, que ceux-ci soient politiques, institutionnels, sociaux, ethniques ou religieux.
PS : Le rapport de la Commission européenne est accessible sur le site de l’UE à l’adresse suivante :
http://ec.europa.eu/enlargement/press_corner/key-documents/reports_nov_2008_en.htm


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